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Quatrième

veine

fouaillée

02/12/2020

 

J'ai arrêté de dire que tout était prévisible, parce qu'on ne me croit pas. J'ai arrêté de dire que tout était fade. On ne me croit pas.

On ne croit pas que je le pense vraiment. Alors, me voilà impatiente : d'être vieille. Mes paroles auront plus de poids à leurs flancs. Quand aurai-je assez d'années sur mon dos pour dire que je ne me trouve aucun points communs avec vous ? Combien de rides pour que votre rejet me soit libérateur ?

*

Il y a des choses que je ne sais pas dire. C'est à peine si je peux les décrire. C'est que je ne voudrais écrire que la vérité. Mais la vérité est ainsi faite, que la plupart de mes semblables accordent à leurs émotions tant d'énergie, alors que je ne fais que l'en parsemer. Comment puis-je dire la réalité en simple observatrice ? J'ai essayé d'apprendre, j'ai regardé des films et j'ai esquissé les contours de ce que je crois être vos excès, vos épanchements. Mais dans la vie de tous les jours, vos émotions ne s'éventent pas dans des grands monologues, ou des larmes bien cadrées, des crispations maîtrisées...des mensonges, en somme... ; elles se cachent dans les tremblements des mains, dans les souffles, les oscillations des paupières, les regards déchus, ou la chute d'un voile sur les yeux. Elles ne font pas beaucoup de bruit, elles ne se déballent pas pour un auditoire. Et j'en suis aveuglée.

*

Je hais qu'on me rassure. Je ne le demande que très rarement, mais on m'endort de paroles allégeantes, comme si c'était un beau geste, une sorte de caresse qu'on ferait à une chienne sale. Je préfèrerais que vous me voyiez telle que, j'en étais pourtant si sure, je me suis présentée : heureuse d'être sale, heureuse que vous soyez étonnés que je ne me sois pas déjà jetée dans une rivière. Si vous me lisiez, sauriez-vous qu'il s'agit bien de moi ?

*

Me suis-je bien fouaillée la veine aujourd'hui ?

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